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Ce que nous attendons réellement de notre carrière

Ce que nous attendons réellement de notre carrière

Dans un monde parfait, le choix d’une carrière ne dépendrait que de deux priorités :

– trouver un emploi qui nous plaît ;

– être rémunéré.e suffisamment pour couvrir nos besoins matériels dans la limite du raisonnable.

Pour être en mesure de penser si librement, il nous faudrait toutefois posséder un équilibre émotionnel peu commun. Dans les faits, trois préoccupations supplémentaires ont tendance à nous obséder :

– Être rémunéré.e suffisamment pour couvrir non seulement nos besoins matériels dans la limite du raisonnable, mais aussi, et surtout, pour impressionner notre entourage, y compris des personnes que nous n’apprécions pas vraiment ;

– Mettre à tout prix la main sur un emploi qui nous éviterait d’être à la merci des autres, qui nous inspireraient, au fond, peur et méfiance ;

– Occuper des fonctions qui nous permettraient de nous sentir reconnu.e, honoré.e, respecté.e et peut-être même célèbre, afin de ne jamais se sentir, à nouveau, rabaissé.e et mis.e à l’écart.

Notre état psychique traduit une volonté de prétendre à une carrière plus brillante, y compris dans un secteur qui ne nous attire pas et où notre charge de travail serait susceptible de nuire à notre santé et à nos relations avec notre entourage. Cette angoisse permanente à laquelle nous sommes sujets, s’explique alors par le fait que nous plaçons la barre correspondant à l’échec bien plus haut. Une légère rumeur désapprobatrice pourrait être vécue comme un raz-de-marée, des bénéfices légèrement inférieurs aux performances réalisées l’an passé pourraient nous mettre dans une condition misérable. La pression pourrait nous faire agir de manière imprudente et hâtive, nous pousser à rogner sur les dépenses, à nous jeter dans des entreprises hasardeuses sans accorder à notre travail le temps et la tranquillité nécessaires. S’ensuivra une baisse de créativité et d’originalité due à la crainte exacerbée du risque d’échouer.

La raison qui nous permettrait d’effectuer un juste choix de carrière n’a en réalité rien à voir avec le travail : l’amour, et notre ressenti profond durant l’enfance et l’âge adulte.

Un enfant convenablement aimé n’a aucune raison valable de prouver sa valeur. Il n’a pas besoin d’exceller à l’école ou d’épater ses ami.e.s, ni même de servir de béquille à l’estime vacillante d’un parent : les bons résultats scolaires qu’il obtiendra seront dus à son goût d’apprendre et non à un besoin de flatter ce dernier. S’il est capable de s’adonner à ce qui lui plaît sans vouloir éblouir qui que ce soit, c’est justement parce que le simple fait d’exister le rend spécial. Il sera certes susceptible de s’investir intensément dans son travail, mais uniquement par passion, et non pour épater la galerie. Ainsi libre de tout souci sur une possible célébrité dans un siècle ou même dans une autre ville, il pourra se focaliser sur une action et l’accomplir de manière tout à fait satisfaisante. Il vaquera dans l’ombre à des occupations dont il tirera sa fierté, pour lui-même.

Ressentir de l’amour une fois adulte contribuera à combler notre besoin de sécurité : la patience, l’attention et la douceur émanant d’une personne qui nous aime sincèrement nous fait nous sentir à notre place sur terre. Peu importe si personne ne nous reconnaît dans la rue et si les fins de mois sont difficiles : « deux personnes qui s’aiment seront heureuses de dormir sur un banc » écrivait en effet D.H. Lawrence, une idée qui peut sembler exagérée mais qui reflète bien à quel point l’amour relativise notre rapport aux préoccupations d’ordre matériel.

Se sentir aimé.e nous empêche de nous sentir contraint.e de travailler plus que nécessaire. Nous n’avons pas besoin de posséder plus que de raison, car nous sommes déjà des titans aux yeux de la personne qui nous aime.

Les individus qui s’acharnent à poursuivre le pouvoir, la fortune et la célébrité ne sont pas cupides mais souffrent au contraire d’un cruel manque d’amour ; ce à quoi nous pouvons sérieusement compatir. Eux, qui semblent tout avoir, sont en réalité des victimes démunies. L’ hyperactivité de ceux qui détiennent aujourd’hui le pouvoir provient d’un sentiment d’être invisible et insignifiant, s’évertuant dès lors à panser les blessures infligées par le manque d’amour. Une réussite démesurée témoigne donc d’un déséquilibre émotionnel laissant croire qu’exister ne suffit pas : tout l’argent du monde ne suffirait pas à combler un être mal-aimé !

Tenter de combler nos blessures émotionnelles à l’aide de nos choix de carrière et de nos exploits semble être devenu une seconde nature. Peut-être même n’arriverions nous pas à prendre conscience de notre valeur. Nous devrions avoir le courage de nous demander : « Qu’aurais-je fait de ma vie si j’avais reçu suffisamment d’amour depuis le début ? ». Nous pourrions alors reconnaître, les larmes aux yeux, à quel point notre parcours aurait été différent, combien d’ambitions sincères ont été sacrifiées au nom de l’acceptation que nous aurions dû recevoir depuis l’enfance, quels efforts ont été motivés par un vide que nous commencerions à peine à remplir.

Les exploits de carrière les plus retentissants ne compenseront jamais le manque d’amour subi par le passé, car le travail ne peut combler une carence affective. Nous devrions donc apprécier notre travail à sa juste valeur et dédier une autre part de notre énergie à faire le deuil de l’amour dont nous avons manqué, avant de rechercher des alternatives qui nous permettront d’avancer sur le chemin de la résilience.

By The School of Life

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